Get Out

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Comment l’Amérique d’Obama a pu voter Trump. Get Out pourrait être une clé de compréhension de l’arrivée de l’homme orange à la Maison Blanche. Certes la dimension politique transpire du film, pour autant le film de Jordan Peele n’est pas un traité théorique sur la question du racisme et le traitement des minorités par l’Amérique blanche. Get Out s’inscrit d’abord dans le sillon du cinéma de genre, tirant à la fois sur la comédie et sur l’horreur. La force du film est d’échapper à l’horreur comedy que sont les ‘Scary Movie’ ou le réussi ‘Dale & Tucker fightent le mal’. Get Out assume à la fois la comédie et l’horreur comme des genres à part entière, l’un n’entachant pas l’autre. La comédie devient un mécanisme de l’horreur. Jordan Peele, pur produit de la comédie américaine avec son comparse Keegan-Michael Key, prend à bras le corps le genre de l’horreur, avec ses codes et son histoire.

Dans un premier temps, le film prend la voie de la comédie satirique façon ‘Devine qui vient diner ce soir?’ mais où la question raciale s’inscrit dans l’Amérique post-Obama. En effet, une jeune femme blanche va présenter son compagnon noir à sa famille. A priori, pour cette famille, la question raciale ne se pose pas, quitte à en faire trop. Se pose alors la gêne de la trop grande démonstration de l’anti-racisme par cette famille. Sincérité excessive, exotisme gênant ou racisme refoulé, le trouble s’installe car le jeune homme n’est ramené par cette famille qu’à sa couleur ou ses origines. Son travail, sa culture ou son caractère n’intéressent pas cette famille, seule sa couleur semble être un enjeu moral. Peele créé à la fois le malaise de l’horreur qui s’installe tout en chargeant cette Amérique blanche se disant progressiste mais totalement désintéressée de la question de l’égalité des droits, où Obama ne serait que la bonne conscience d’une classe sociale profondément réactionnaire.

La dimension satirique du film consisterait en un parfait étendard anti-raciste, mais Peele n’est pas un militant et veut aussi faire du cinéma et progressivement bascule la satire dans l’horreur. La filiation carpenterienne du cinéaste apparaît alors totalement dans la création du mal pur. Peele ne tire pas ici ses racines chez des cinéastes plus à gauche comme Romero ou Tobe Hooper pour qui les bourreaux sont aussi des victimes, où la société construit des monstres. Carpenter croit au mal pur, dépourvu de considérations sociales. Les moins avertis les considéraient comme d’horribles réactionnaires, mais comme Peele aujourd’hui, il s’agit juste d’un rapport au monstre différend par lequel le mal pur permet juste de positionner l’humanité. Ici, le mal prend la forme d’un transhumanisme fasciste (sujet plus larvé du film) et pour qui le racisme est codicille de l’horreur.

En fait, la subtilité de Peele tient au fait que le film n’essentialise pas son récit sur la question du racisme mais sert de biais de perception de l’horreur. Au fond, le racisme est une composante de la vision détestable de l’humanité par le monstre. Le monstre ne déteste pas forcément les noirs en tant que tel, mais veut juste utiliser son corps. Cette volonté détestable devient alors possible par un racisme plus global d’une société, où les noirs sont encore aujourd’hui vus comme des marginaux de la société, plus utiles que sincèrement considérés.

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Les dix films de 2016

Mademoiselle de Park Chan-Wook

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Après une expérience américaine mitigée (Stoker), Park Chan-Wook est revenu aux sources de son cinéma. Trio amoureux sur fond d’arnaque et de sexe extrême dans une Corée des années 30 colonisée par le Japon. Un escroc, une servante et une princesse, un film sous influence hitchckokienne. Mais comme cette appellation est largement galvaudée dès lors que fait surface le moindre thriller sexué, on préfère évoquer l’influence de Kubrick sur Park Chan-Wook. Ce dernier dessine admirablement dans Mademoiselle les rapports de domination sociale : des riches sur les pauvres et des hommes sur les femmes. Le film emporte la mise par la démonstration que l’on peut échapper à la domination sans totalement s’en affranchir.

Elle de Paul Verhoeven

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Verhoeven est un génie. La preuve : un cinéaste hollandais, star du cinéma hollywoodien des 90’s, montre au cinéma français comment on fait un grand thriller et un grand film sur la bourgeoisie. Toute le magie de Verhoeven transpire de ce film, faire cohabiter la violence, le sexe, le malaise conjugués à une ironie flamboyante. Huppert capte ça à merveille, et son talent d’actrice fait tenir le malaise permanent du spectateur sur son personnage, là aussi on peut parler de génie. L’autre révélation, c’est évidemment que Laffite et Efira mérite bien mieux que ce que leur propose le cinéma français actuel.

Midnight Special de Jeff Nichols

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Sur un arbre généalogique du cinéma américain, Nichols serait le descendant de la branche Spielberg de l’héritage du cinéma de John Ford. Dans Midnight Special, il joue parfaitement sa partition de conteur avec un sens du héros opportun. La famille demeure toujours le fil rouge du cinéma de Nichols ou comment un père veut croire au meilleur pour son enfant, même si cela paraît fou. La croyance du père, devient notre croyance. Même si certains chipoteront sur la vision SF du film, on reste toujours ébahit devant la beauté de ce cinéma américain.

The Strangers de Na Hong-jin

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Troisième film de Hong-jin, The Strangers est probablement un des films de genre les plus passionnant de cette année. Certes, le film a quelques longueurs (2h30), mais la super-position du thriller, de l’horreur et du mystique sur un ton grotesque propre au cinéma coréen, nous pousse à aimer ce cinéma riche. Totalement connecté au pouls de la société coréenne, le film ne tombe jamais dans le didactisme social et tient malgré tout le récit jusqu’au bout. Na Jong-jin s’inscrit durablement dans l’effervescence du cinéma coréen contemporain.

Tu ne tueras point de Mel Gibson

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Dix ans que l’on attendait la suite de la filmographie de Mel Gibson, et la claque visuelle qu’avait été Apocalypto. Les reproches récurrents au cinéma de Gibson ne sauraient s’évaporer avec Tu ne tueras point (le bigotisme notamment), mais s’arrêter à cela nous détournerait de l’essentiel. Esthétiquement, Mel Gibson a toujours la forme. Certes la première partie est un peu académique par une mise en place des enjeux balourde, mais la seconde partie devient alors du grand cinéma. Peu de cinéastes savent aujourd’hui filmer la guerre avec autant de talent. C’est violent, mais formidable.

Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan

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Le melo est devenu un genre légèrement suranné, concurrencé par la vitesse du cinéma hollywoodien contemporain, mais comment ne pas succomber à Manchester by the Sea. Le pathos est partout, mais jamais de trop. Casey Affleck, homme brisé par un trauma familial, doit y faire face à nouveau en revenant dans sa ville natale suite à la mort de son frère, un trauma habilement exposé par le flash back. Certes cette famille a morflé, mais le talent du cinéaste est de nous donner envie d’être avec eux. Toute la distribution est parfaite, surtout Michelle Williams qui n’a que trois ou quatre scènes et qui inonde le film de sa présence.

Poesia Sin Fin de Alejandro Jodorowsky

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Trop. L’adjectif qui caractérise au mieux le cinéma de Jodo. Mais comment mégoter quand on voit des productions totalement rachitiques en terme de mise en scène. Trop de couleurs, trop de dialogues, trop d’absurde. Mais il y a tellement d’idées dans cette autobiographie de l’adolescence chilienne du réalisateur qu’on lui pardonne tout. Le burlesque tant parfois vers le grotesque, mais l’intention poétique de Jodo rachète tout. Et il nous offre un final autant dramatique que magnifique (le carnaval et le départ vers l’Europe). Juste beau.

The Assassin de Hou Hsiao-Hsien

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Le taïwanais Hou Hsiao-Hsien a décidé d’entamer un cycle de film d’époque. Prix de la mise en scène à Cannes en 2015 (comme quoi Cannes ne se trompe pas tout le temps), on suit ici la destiné d’une jeune femme chargée de tuer un noble qui lui était promis durant la dynastie chinoise des Tang au 7ème siècle. Même si on ne comprend pas tout ce qui tient ce récit d’époque, la simple beauté de la mise en scène suffit.

Premier Contact de Denis Villeneuve

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Auteur installé, Villeneuve s’est à son tour attaqué au genre de la SF façon rencontre du Troisième type. Le film n’échappe pas aux lourdeurs mélodramatiques du Insterstellar de Nolan à grand coup de musique harassante. Cependant, Villeneuve se rachète par un discours touchant sur le langage. La mise en scène épuré et la simplicité du propos donne un sentiment de film intermédiaire avant que le québécois ne s’attaque au remake de Blade Runner. Solide.

Comancheria de David McKenzie

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Partant comme un film de braquage minimaliste, le film devient rapidement une relecture contemporaine du western. La frontière n’est plus tout à fait la même, il faut lutter pour garder son territoire. Hanté par la thématique de la loi, le film s’inscrit humblement dans l’histoire du cinéma américain. Le film trouve ses figures héroïques, ceux qui font des concessions.

Ils auraient pu y être :

Ma Loute de Bruno Dumont

Sully de Clint Eastwood

Snowden de Oliver Stone

Paterson de Jim Jarmusch

Les Ardennes de Robin Pront

Dernier Train pour Busan de Yeon Sang-Ho

Diamant noir de Arthur Harari

Kubo et l’armure magique de Travis Knight

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Free State of Jones

THE FREE STATE OF JONES

Matthew McConaughey (center) and Mahershala Ali (center left) star in THE FREE STATE OF JONES

Gary Ross, faiseur du premier Hunger Games (le moins mauvais), propose avec Free State of Jones une nouvelle lecture de la guerre de Sécession par le récit du Newton Knight. Personnage controversé de l’Histoire américaine, il est parfois présenté comme un héros politique qui a fait le choix de lutter contre le pouvoir ségrégationniste en créant son propre état, pour d’autres il est vu comme un déserteur et un bandit reconverti comme politique à son propre profit.

Ross fait le choix de s’imaginer le récit autour de la première hypothèse. Car tout ce que le film raconte autour de Knight n’est basé que sur des légendes et sur peu de faits historiques. Se pose alors à Ross une multitude de possibilité narrative afin de créer une fiction hors-norme. Le film prend d’ailleurs une voie intéressante dans sa première partie en rentrant frontalement sur le champ de bataille de la guerre aux côtés de Knight. Le mythe de la guerre de Sécession n’est d’ailleurs pas édulcoré, nous sommes alors au milieu des tranchés, dans la boucherie la plus totale. Knight est infirmier, et comme dans M*A*S*H l’infirmerie devient le spectacle de la boucherie, l’humour et la subtilité d’Altman en moins.

L’arrivée du neveu de Knight sur le champ de bataille va définitivement le pousser à déserter. Le film suit cette fuite, de manière classique et plutôt intéressante. Il nous est montré comment un homme qui se révolte et prend conscience de la communauté en créant sa propre communauté. Le personnage se construit en opposition a un état totalitaire basé sur des privilèges qui opprime un peuple pauvre obligé d’aller le défendre sur le front. La grille de lecture marxiste de l’histoire américaine tourne alors à plein régime.

A ce moment le film semble pencher pour une hypothèse radicale. Celle de la communauté sectaire réunit autour d’un gourou, Knight. On se dit que tout les éléments sont là pour nous emmener vers un récit façon Coppola ou comment Newton Knight deviendrait une sorte de Général Kurtz du Sud plutôt que dans la jungle asiatique. Sauf que le film ne prend pas et n’ose pas cette audace.

N’osant pas, le film devient même problématique. On sent le réalisateur obligé de raconter l’Histoire, le fantasme d’un cinéma de contre-bande s’évanouit d’un coup. En effet, passant d’un film politique classique américain, le film opte pour le genre du docu-fiction. Fini la construction des personnages initiée durant la première partie, on nage désormais sur des ellipses narratives. La guerre de Sécession se termine et Lincoln abolit l’esclavage, on essaie alors de nous raconter ce que va devenir Knight dans une sorte de vie civile. S’alterne alors des images d’archives, des saynètes sur la vie de Knight et un procès sur l’origine raciale des descendants de celui-ci qui à lieu un siècle plus tard. Le cinéma disparaît et laisse place à l’instruction. Une seule question, à quoi bon faire du cinéma si la volonté est juste de se substituer à un livre d’Histoire?

Au fond, le vrai problème qui obsède le film, c’est la question raciale. Comme tout un pan du cinéma sous l’ère Obama, la question raciale est devenue un enjeu du cinéma hollywoodien. Mais comment le film peut autant rater son sujet?

Tarantino tentait la relecture (voire une forme de révisionnisme jouissif) de l’Histoire avec son Django, McQueen essayait la voix classique (voir académique) du mélo sur son 12 Years Slave, même Spielberg avait réglé l’erreur Amistad avec son Lincoln.

Free State of Jones hésite sur son genre pour finalement tout rater. La question raciale en devient même problématique. Si la volonté est de s’intéresser à la question noire et d’amener une grille de lecture contemporaine, comment les personnages noirs peuvent-ils autant passer au second plan. C’est même pire que ça, les personnages noirs ne sont que des instruments du dramatique. Le film raconte leur incapacité à s’élever par eux-même : le personnage de Matthew McConaughey est celui qui nourrit, qui instruit et qui éveil à la conscience politique.

En fin de compte le film ne gagne sur aucun des tableaux, il rate le sujet de la question noire, mais surtout, et c’est dans doute le plus terrible pour le spectateur, il rate son ambition de cinéma.

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The Revenant, naissance d’une nation au scalpel

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A peine avons-nous eu le temps de digérer Birdman d’Iñárritu, que celui-ci sort déjà du bois en nous proposant sa lecture du western américain. Très attendu, le film, avant même sa sortie, annonçait son gigantisme autour de trailers viscéraux et d’un marketing hardcore autour de la performance survivor de DiCaprio. On passera rapidement sur la prestation excessive de Leo qui montre sans cesse à l’écran qu’il veut cette satanée statuette des oscars. Du sang, des larmes, de la morve, de la boue et des cicatrices à n’en plus finir, il sera difficile pour lui d’aller plus loin pour obtenir une récompense méritée mais qui ici touche parfois au le grotesque. Malgré tout cela le film a-t-il les moyens de ses ambitions ?

Birdman posa une nouvelle donne sur les formes du cinéma d’Iñárritu. Hanté (voir obsédé) par la technique du plan-séquence, il semblait inévitable que cela devienne un gimmick essentiel de son cinéma. Sauf que dans Birdman, le plan-séquence ne fût pas qu’une pose, mais se voulait accompagner un récit avant tout théâtral. Ici l’abus de cette technique dans l’ouverture du film est immédiatement harassante. Certes, il nous plonge au coeur du réacteur d’une bataille entre les « cowboys » et les indiens, mais sa tentative virtuose n’a aucun intérêt. De surcroît, le geste technique pour le geste faiblit inévitablement sur l’évidence du faux plan-séquence numérique. Heureusement le film échappe rapidement à cette « manie ». Finalement la virtuosité s’impose ailleurs, sur la qualité visuelle des plans. Le travail d’Emmanuel Lubezki, nouvel coqueluche parmi les photographes hollywoodiens, apparaît ici éblouissant. Le paysage n’est pas utilisé comme un simple décor mais devient un acteur incontournable du récit.

Passé un certain plaisir esthétique, il convient de se pencher sur ce que raconte le film. Bien que les références abondantes à l’histoire du Western américain brouillent les pistes (Ford, Cimino, Leone ou Hawks), le film n’évoque au fond qu’une chose : la naissance d’une nation, la nation américaine. Le récit de la survivance du personnage DiCaprio et sa volonté animale de vengeance ne sont qu’un moyen de comprendre le mythe sur lequel se fondera l’Amérique. En partant de ce postulat, le film offre une réponse problématique. Certes la question de la violence est un sujet inhérent à la constitution de l’Amérique, sauf qu’ici la violence n’est que sauvage et animal. Tout le film pourrait se résumer sur l’inscription porté par un innocent indien pendu : « Nous sommes tous des sauvages ».

Au fond, peu importe la camp auquel on appartient, nous ne sommes que des créatures divines vouées à la sauvagerie primitive. DiCaprio devient un corps constitutif d’une nature elle-même sauvage. Comment peut-on être civilisé quand la nature elle-même nous ramène sans cesse à une position animale ? L’Amérique ne serait donc qu’un amas de communauté plus sauvages les unes que les autres. Visages pâles ou peaux rouges, tous sont prêts à s’affronter, à s’entretuer, dès que le moindre conflit n’apparaît.

Iñárritu ne s’intéresse jamais à la question de la loi ou de la civilisation. Non pas qu’il faille établir un camp du bien et un camp du mal, un camp du juste et un camp du traître, un camp de la raison et un camp de la passion. Mais au moins que la question de la civilisation soit un minimum appréhendée. Lorsque Ford présente John Wayne face aux indiens dans la Prisonnière du désert, il ne diabolise pas les indiens, il n’en fait pas des sauvages, de même que John Wayne n’est pas un cowboy bas du front assoiffé de sang. Chacun défend la position d’une communauté qui fait partie d’une nation naturellement morcelée par ses propres communautés. Chacun défend sa communauté parce qu’en défendant ses propres règles chacun pense défendre les règles d’une humanité plus globale. Or ici, l’humanité n’intègre jamais les personnages. Ils ne se pensent qu’en individus isolés, sans qu’aucun personnage n’incarne une forme d’autorité morale à laquelle on pourrait se rattacher, quand bien même celle-ci échouerait. Le problème est ici au fond, dans l’idée que parallèlement à une violence primitive, il n’existe pas de loi (au sens d’un contrat social rousseauiste). L’arrière goût malsain qui émane du film provient sans doute d’une grande violence charnelle éventrant instinctivement toute forme de raison ou d’idée…

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Huitième merveille

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Cinéphile obsessionnel, Tarantino est depuis toujours habité par le western. Genre cinématographique complexe et totalement disséqué par Hollywood. Des plus géniaux aux plus pitoyables, des grandes fresques épiques aux séries B purement jubilatoires, il est l’incarnation de l’histoire du cinéma américain : subtile et brutal. Tombé peu à peu en désuétude, Tarantino est sans doute un cinéaste en retard de l’histoire du cinéma de ce point de vue, car plus personne ne croit fondamentalement possible de faire un western répondant à une forme de modernité.

Django sera sa première pierre à la réactivation du mythe du western. Il va prendre comme trame la géniale série B de Corbucci et pousser tout les curseurs propres à son cinéma. N’étant pas qu’un styliste, la réécriture prend de l’ampleur quand il y pose une nouvelle donnée de son cinéma, la revanche de l’Histoire. Amorcée avec ses bastards qui y iront flinguer Hitler, il imagine ici la revanche de l’esclave noir sur le maître blanc, comme pour rappeler toute la violence sociale de l’Amérique contemporaine.

Ses Huit Salopards portent aussi en eux la violence inhérente à cette Amérique contemporaine. Les thématiques de Tarantino sont riches et explosent à chaque plan comme des tableaux travaillés à la perfection. Tarantino pousse le vice de la relecture jusqu’à imaginer que le western en 2016 doit être un huis clos de trois heures. Finis l’exploration du territoire et les périples aux delà des frontières connus, finis les plans magistraux de paysages infinis, le western devient ici une introspection.

Il demeure néanmoins un génie esthétique en tenant une certaine virtuosité alors que l’action se contient quasi exclusivement dans une cabane en bois. La caméra néglige alors le hors-champs opérant ainsi de manière quasi omnisciente. Tout se dévoile progressivement comme un polar de haut vol. On pourra toujours reprocher à Tarantino de tendre des perches aux spectateurs sur certains twists de son scénario, mais comme le rappelait Hitchcock, annoncer ce qu’il va arriver fera vivre aux spectateurs une expérience bien plus puissante que si ils regardaient juste l’évènement se dérouler sous leurs yeux sans qu’ils puissent anticiper quoi que ce soit.

Au fond, Tarantino réactive magnifiquement la veine du western, en faisant tout sauf un western hollywoodien.

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Les vies de Brian

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Cet été 2015 nous a proposé un nouveau biopic, ‘Love & Mercy’ ou la vie tourmentée de Brian Wilson. Approuvé par l’intéressé lui-même, tout laissait craindre à une énième narration proprette de la vie d’artiste géniale. De la découverte du talent à la déchéance à cause d’un traumatisme générant le génie, et enfin la rédemption pour plaire au public de pop-corn movie. La plongée dans le cerveau tortueux de Wilson avait tout de l’exercice bancal. Sauf que Pohlad, plus roublard que prévu, va sortir de l’hagiographie prédestinée au genre.

Dans un premier temps, la narration croise deux époques de la vie de Brian Wilson : la fin des années 60 et la fin des années 80. Deux périodes, deux acteurs. On ne cherche pas la ressemblance physique en faisant exister deux Brian Wilson différents mais identique. Paul Dano en version jeune, et John Cusack en version abimé vingt ans plus tard. Tout deux partagerons la sensibilité terriblement touchante du personnage. Mi-homme mi-enfant, mi-génie mi-puéril. Au fond, les deux Brian Wilson aspirent à des choses radicalement différentes, les deux acteurs amenant ainsi au bon endroit la personnalité de Wilson.

Le film ne s’attarde pas sur la période surf pop lorsque les Beach Boys enchaînaient tube sur tube. On plonge directement sur la période qui verra la naissance de l’un des plus grands chef-d’oeuvre de la pop music : Pet Sounds. Subtilement, Wilson se détache du groupe et de la scène afin de devenir un maître de studio. Le film ne tombe jamais dans les coups d’éclat ou le pathos, mais montre délicatement la prise de distance de Wilson avec son groupe et sa famille pour se diriger progressivement vers un enferment mental. La famille Wilson disparaît et Brian devient seul. Seul dans sa tête et dans sa musique. Il n’est pas un génie qui renverse la table, juste un type qui veut faire de la musique. Cette aspiration devient alors le toboggan de la folie.

Parallèlement, on voit évoluer Wilson 20 ans plus tard. Il est supposé guéri, mais est toujours seul. La film aurait encore pu tomber dans la facilité de la relation amoureuse qui sauve tout. Sauf que tout cela est bien plus compliqué. Le Wilson vieillit et fatigué par des années de dépression veut trouver sa rédemption. Sauf que le film flirt habilement avec le thriller psychologique. Brian, en plus de lutter contre ses propres démons, doit aussi lutter contre l’emprise d’un psychiatre fou et cupide. L’amour devient le prétexte, un peu bête, de la survie de son héros.

Cependant, la grande force du film est de couvrir deux périodes bien distinctes de la vie de l’artiste, ainsi que deux périodes significatives dans l’histoire de la pop culture américaine. Le Brian Wilson des années 60 aspire à briser les lignes, comme toute une génération de jeunes américains. Elle est insouciante et libre. Brian aussi. La drogue, le sexe sont des vagues qui vont déferler sur Brian comme sur toute l’Amérique. Comme elle, Brian se réveillera sonné et fatigué vingt ans plus tard. L’insouciance a laissé place à la paranoïa et aux illusions perdues.

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Lost River, la quête de Ryan Gosling

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Hollywood aime les paradoxes, les routes multiples et complexes. Ryan Gosling veut être un de ces paradoxes. Il passe ainsi de baby star chez Disney à coqueluche du cinéma indépendant américain. Il est le sex symbole qui fait pleurer la ménagère dans The Notebook et l’acteur mutin de Drive chez Winding Refn. Il est comique dans Crazy Stupid Love et dramatique dans Half Nelson. Par ces choix de rôles, il se rêve en incarnation de la vraie nature du cinéma américain : l’intelligence jumelée à la pop culture. Sauf que depuis les années 70, on ne peut pas être considéré comme un artiste à Hollywood si on ne réalise pas de films. Gosling adore Lynch, Noé ou Winding Refn, mais à l’ombre de ces gens-là s’est-il affirmé comme un nouveau nom de la réalisation à Hollywood ?

Il faut reconnaître à Gosling l’audace de cinéma. Il aurait pu se contenter de se filmer en plein cadre l’essentiel du temps, mettre en scène sa propre image facilitant toute tentative de mise en scène. Il renonce et laisse sa gueule d’ange derrière la caméra pour essayer de devenir un réalisateur.

Certes Gosling ne cherche pas la facilité, mais on sent les intentions (un problème cinématographique en soi), et tout ça n’est pas canalisé. Il s’attaque à un sujet ultra balisé par le cinéma indépendant américain : la crise économique qui ravage l’Amérique moyenne, l’Amérique industrielle. Détroit devient le cadre évident de ce discours, une ville déserte aux décors quasi lunaires. Gosling tente désespérément de sortir de la noirceur qui émane de cet univers urbain pour y insérer une dose de poésie et de fantastique. Les idées jaillissent de tout les côtés par un mélange des genres, flirtant avec le gore, l’anticipation, le thriller fantastique ou la chronique sociale.

Le film devient alors un objet curieux où la beauté sidérante de certains plans se fait rapidement oublier par l’omniprésence de références. On sent la profusion de ces influences qui deviennent littéralement assommantes. Là est sans doute le problème majeur du film.

Il est désormais acquis que Gosling n’est pas qu’un acteur cool et sexy parmi les autres, mais si il veut devenir un auteur il devra sans doute se délester de ses influences afin d’affirmer le style Gosling.

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Blackhat, l’esthétique de l’abstraction

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Hollywood cherche perpétuellement la voie de l’époque et en regardant le cinéma américain, on comprend ce qui préoccupe le monde (et donc l’Amérique). Michael Mann fait partie de ces auteurs qui capturent l’époque et posent les balises formelles du cinéma contemporain, ses films étant attendus comme une sorte d’aggiornamento du film d’action.

Une fois encore, Mann prend un hors-la-loi comme prisme de son discours. Ce hors-la-loi ne sera pas du type Josey Wales, flingue à la ceinture, mais plutôt porté sur le tapotage de clavier. La nouvelle obsession de Mann est l’informatique et les hackers qui hantent son monde. L’informatique est alors prise comme mythologie de l’abstraction du monde contemporain.

L’argument du film est simple : un virus informatique provoque un incident nucléaire en Chine. Les gouvernements chinois et américains vont collaborer pour trouver l’auteur de l’attaque. Pour cela, ils vont faire appel à un hacker (Chris Hemsworth) emprisonné depuis cinq ans. D’entrée, Mann évacue la question du réalisme, personne ne pouvant croire qu’un type soit toujours à la pointe de la connaissance informatique après cinq années passées derrière les barreaux. Tout chez Mann rappel que le réalisme est abstrait. Tout est abstrait comme un écran d’ordinateur. L’écran de cinéma, lui, devient le vecteur de cette abstraction et à travers cela, le monde un ensemble cosmopolite, sans frontières, ni nations (où se trouve la différence entre Los Angeles et Hong Kong).

Toutes les obsessions de Mann sont posées là, à l’identique depuis toujours, à l’identique depuis Le Solitaire ou Miami Vice. Sa vision se radicalise et se grise au fur et à mesure d’une filmographie qui se calque sur une époque de plus en plus figée derrière ses écrans.

A ce titre, il n’est pas étonnant de voir le préférer des acteurs plus placides, à la limite de la froideur robotique. Thor s’imagine plus facilement en personnage placide que Sonny Corleone. Cette glaciation de l’humain rappelle forcément le Avatar de James Cameron. Film où les Navis sont biens plus riches et fascinants que des humains réduits au simple rang de bête carnassière. Le marine Jack Sully y rejetant même sa peau d’humain, comprenant que l’autre devient plus attrayant. Chez Mann, cette vision sombre et désabusée de l’humain hante tout son cinéma. Cela ne doit d’ailleurs pas se réduire à la simple question de l’informatique, mais s’étendre à toute l’époque. L’intrigue des hackers devient à ce titre le cadet de ses soucis pour se transformer en action movie classique. Rappelant au passage, que dans ce genre-là, personne ne l’égale, comme le montre les scènes du fusillades avec une grande virtuosité.

Certes Mann étend ses motifs jusqu’à l’excès (certains y verront bêtement du maniérisme), mais ceux-ci se justifient par une volonté affichée de montrer le monde, sa beauté, son délabrement et ses humains fatigués. Les héros ne sont plus fatigués par le 11 septembre, comme ces super-héros à bout de souffle, incapables de tenir la distance. La question du 11 septembre ne tient d’ailleurs plus qu’à une question personnelle, il n’est plus évoqué comme un traumatisme commun permettant d’accepter n’importe quel débordement sécuritaire mais seulement comme une tragédie individuelle. La fatigue tient à la vitesse et la désincarnation de l’époque.

Le héros de Hacker, comme Dillinger (Public Enemies), Sonny Crocket (Miami Vice), Neil McCauley (Heat) ou Franck (Le Solitaire), cherche une porte de sortie, une sorte de paradis perdu (l’amour incarne toujours cela chez Michael Mann). Cette quête pose toujours la même question chez les personnages de Michael Mann : qui suis-je dans cette époque ? Quelle est ma place d’individu dans ce monde post-moderne ? Une quête impossible qui finit toujours par ramener le héros à sa condition initiale. D’une certaine manière, les personnages de Michael Mann sont des héros kafkaïens contemporains.

Michael Mann ne propose pas là son plus grand film, mais sans aucun doute une œuvre majeure de l’époque. Une œuvre crépusculaire et abstraite qui s’inscrit à la perfection dans la tradition du film mannien. Une œuvre qu’il faudra sans doute apprécier comme un digestif d’une filmographie qu’il sera difficile de poursuivre, tant l’époque de la politique de l’auteur à Hollywood semble révolue pour Mann (le film étant une catastrophe au box-office) et on l’imagine mal proposer un cinéma désargenté ou contrôlé par un studio. Le grand spectacle du cinéma ne semble plus s’accommoder de l’abstraction et de la radicalité.

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House of Cards, l’impossibilité américaine

Television Programme: House of Cards with Kevin Spacey as Frank

Franck Underwood est revenu dans la peau du Président des USA dans le troisième volet de la série House of Cards. Pour les habitués de la série, la fin de la deuxième saison nous laissait sur cette position haletante. Que va faire le président Underwood ?

Du point de vue politique, Francis Underwood ne varie pas. La jubilation demeure totale face aux manipulations orchestrées par un président trouble. Trouble, parce que népotique, autoritaire et totalement vide de conscience politique. Mais la réussite de la série tient sans doute à cette absence de positionnement politique, qu’il soit républicain ou démocrate peu importe, la lecture du personnage est la même. L’empathie sur sa personne est difficile mais la fascination totale. Le cynisme va alors porter le trouble qui s’immisce chez le spectateur. Quand on en vient à espérer secrètement que les choses tournent en la faveur d’Underwood, c’est que le mal l’emporte. Là se trouve le grand tour de force de cette série.

Bien que ces turpitudes passionnent, la politique n’est qu’un cadre d’expression. L’ambition est en fait le sujet principal de cette série. La mise en scène des luttes politiques (surtout l’opposition entre la Maison Blanche et le Congrès) pourraient lasser si elle ne ne visait autre chose. La grande machine politique qui est présentée devient le prisme de la quête du pouvoir et de ses conséquences.

House of Cards ne se perd alors jamais dans un cynisme absolu. En effet, le vide créé par le personnage joué par Kevin Spacey est le contre-poids parfait au cynisme. Certes ce personnage réalise ses rêves, va au bout de ses ambitions, un self-man made parfaitement américain. Mais comme toujours, la fiction américaine produit toujours un discours plus critique en creux. Que va devoir perdre Franck Underwood pour devenir ce qu’il a toujours souhaité être ?

L’altérité du personnage d’Underwood, c’est Rémy Danton, son chef de cabinet. Son ambition politique est présentée tout au long des deux premières saisons, mais sa trajectoire dans cette saison devient l’inverse de la destiné intime de son patron. Lui aussi devra laisser quelque chose en route pour gagner par ailleurs. Finalement le mythe américain de la réussite personnelle se trouve toujours confrontée à l’impossibilité du réel.

De manière similaire, le personnage de Doug Stamper, homme de l’ombre, nettoyeur des problèmes d’Underwood, porte aussi en lui la tragédie de l’intime. Son ambition se trouve ailleurs, elle est dans le sacrifice pour son patron qu’il préfère au sacrifice d’une hypothétique famille. En fait, qu’ils soient journaliste, politique, écrivain ou juge, tous vacillent entre l’ambition et l’intime.

Le vrai trésor de cette saison est la destinée de Claire Underwood, First Lady trop ambitieuse pour se contenter de faire valoir. Le parcours parallèle, ou croisé, avec son mari devient la force centrale de la narration et conduit le drame intime dans un final grandiose et pathétique.

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